|
LETTRES
D'UN INSOUMIS
Passionnante est la Vie !... Je
voudrais te donner ma ferveur, mon désir incessant de
tout ce qui est neuf, de tout ce qui est imprévu. Je hais
les chemins tout tracés. Satprem, qui
s’appelait alors Bernard, est à la veille de ses
vingt ans lorsqu’il laisse ce message à son jeune
frère, presque comme un testament, au cas où il lui
arriverait des « ennuis » ; car, émergeant
à peine de l’adolescence, il avait quitté la
demeure familiale pour s’engager dans la Résistance.
Un mois et demi après cette lettre, en novembre 1943, il
est arrêté par la Gestapo alors qu’il allait
s’engager dans une section spéciale de sabotage. Une
page est brutalement tournée, les « chemins tout
tracés » écartés à jamais
après la dévastation des camps de concentration.
Mais cette ferveur brûlante est toujours là,
c’est la seule chose qui va le garder en vie : un
« miraculé », témoigne sa
sœur après que le typhus ait failli l’emporter
au retour des camps.
J’ai fait une table rase pour
être neuf à la loi nouvelle. J’ai soif,
écrit Satprem quelques mois plus tard à André
Gide qu’il croise en Haute-Égypte, en route vers
l’Inde. Il ne saurait très bien dire ce qu’est
cette « loi nouvelle », mais pressent qu’elle
seule peut donner un sens à un cœur qui bat, tant
bien que mal, dans une poitrine meurtrie. André Gide,
touché, lui donne ce message, tel un mantra initiatique :
« Le monde ne sera sauvé, s’il peut
l’être, que par des insoumis. » Insoumis,
Satprem l’est déjà fondamentalement : Ce
monde est in-ac-cep-ta-ble... Je ne comprends la vie que comme
un DÉFI violent au sort, à la mort.
[…]
Mais le message de Gide était
incomplet, une première initiation seulement ; les
aventures, si belles ou riches fussent-elles, ne pouvaient
étancher cette soif : il fallait aller plus profond,
avoir le courage de creuser en soi-même pour
déterrer tout au fond la « loi nouvelle ». Il
fallait trouver quelque chose qui console tout, emplisse tout
– le pourquoi de toute notre douloureuse aventure humaine
et terrestre depuis des âges.
[…]
C’est à Klari, avec
laquelle il partage « un vieil esprit rebelle », et
à Bernard d’Oncieu, gentleman-aventurier au
cœur noble et chaleureux, que sont adressées la
plupart de ces Lettres d’un Insoumis. Satprem les
y prend à témoin du pari qu’il a fait sur sa
vie, leur ouvre son cœur et leur confie son espoir
invariable, ses joies aussi intenses qu’elles sont
fugaces, les sommets mais aussi les abîmes de son
exploration en solitaire vers cette terra incognita de
l’homme, avec pour seul fanal cette flamme insatiable qui
lui interdit de s’arrêter nulle part : Mon
rêve, et je veux y croire en dépit de toutes les
apparences, c’est de réconcilier un jour
l’aventure extérieure et l’aventure
intérieure, que tout soit un même sourire, une
même joie, un grand jaillissement spontané. Et
que le corps, lui aussi, trouve la joie de l’existence.
J’en ai assez, assez de ces vies tronquées
où l’on ne vit que dans une petite province de
soi-même, en rejetant le reste.
[…] Je veux avoir le courage
d’aller jusqu’au bout, écrit-il
à d’Oncieu quelques jours après son
arrivée à l’ashram de Pondichéry. De
courage, Satprem n’en manque pas dans ce lent labeur vers
l’accomplissement intégral de l’Homme, un
labeur infiniment plus exigeant que l’Amazonie ou le
désert africain – d’ailleurs, l’appel
de la route ou du large revient le hanter aux heures noires, et
bien des fois au cours de ces premières années,
sous l’œil légèrement ironique de
Mère, la compagne de Sri Aurobindo, Satprem est sur le
point de lever l’ancre pour quelque Turkestan ou Congo
– à leur place, il choisira Ceylan et les
Himalayas, et sillonnera l’Inde avec un bâton de
Sannyasin, avant de revenir auprès de Mère se
jeter de nouveau dans cette impitoyable guerre intérieure
: Il faut recommencer encore et encore, avoue-t-il
à Klari, jusqu’à ce que la nuit des
hommes soit définitivement vaincue dans le fond de son
être, et c’est un interminable combat... Il faut
traverser toute l’épaisseur des cycles de
souffrance humaine, parcourir en quelques années
l’atavisme obscur de nos existences passées,
l’hérédité de la terre, pour avoir
le droit d’émerger à nouveau dans la
lumière et la vérité.
Ce n’est ni une «
quête spirituelle », ni une fuite hors de la vie,
mais au contraire un véritable voyage au centre de
l’homme, digne de Jules Verne, breton comme Satprem (dont
l’obstination est certes une vertu de ce pays-là),
voyage semé d’épreuves et
d’embûches, riche en explorations latérales,
mais avec aussi des tournants décisifs. Peu à peu,
Klari et Bernard d’Oncieu voient leur vieil ami
naître à une nouvelle conscience, une nouvelle vie,
qui ne font qu’aiguiser davantage sa soif : Le but
n’est jamais atteint. La victoire du
jour est le poids qui vous empêche d’avancer le
lendemain...
Lettres d'un Insoumis
© Robert Laffont et Institut
de Recherches Évolutives, 1994
REVUE DE PRESSE
HORS NORMES
Extrait d'un article d'André Velter
Le Monde des Livres, 30
décembre 1994
Parcours plus que
mémoire, la correspondance de Satprem est une invite au
« grand lâchez-tout ».
Le voyage d’une vie portée par
« l’excès de soi-même »
André Breton, qui par ailleurs
était assez casanier, engageait à ne pas
confondre les livres qu’on lit en voyage et ceux qui font
voyager. Il ne laissait ainsi nulle place à cette
autre catégorie d’ouvrages qui, d’un même
mouvement, jettent sur les routes et fomentent un cheminement
intérieur. De telles œuvres sont rares, souvent
tenues à l’écart avant d’imposer leur
évidence, leur éclat, leur impitoyable
lucidité.
Tous les livres de Satprem, romans,
récits ou essais, sont de cette sorte : à la
fois défi et viatique, à la fois horizon et vertige.
Les deux tomes de correspondance aujourd’hui publiés
appartiennent également, avec une intense force
d’entraînement, à ce groupe de
témoignages décisifs où les mots ne donnent
jamais le change ni ne se montrent trop malhabiles à
changer les données du destin.
Les lettres qui se succèdent ici,
au long d’un demi-siècle (1943-1992), composent non
des « Mémoires » mais un parcours. Un
parcours saisi et transcrit sur le vif, un parcours qui se
cherche, se perd, s’accomplit. Chacun est invité
soudain à suivre le cours intime de l’une des plus
radicales aventures de ce temps, l’une des plus
bouleversantes aussi...
© Le Monde
ET SI C'ÉTAIT VRAI ?
Extrait d'un article de Patrice Van Eersel
Nouvelles Clés, Hiver 1995
[…] Dans sa correspondance, qui
vient de paraître, nous assistons à la lente
ascension de ce tout jeune aventurier français qui,
à peine sorti d’un camp de concentration, en 1945, se
rua tête baissée vers tous les Eldorado imaginables,
pour peu à peu s’apercevoir que la seule exploration
sensée le menait vers l’intérieur de
lui-même. Et qui, finalement, aboutit à cette
certitude, allumée en lui par Shri Aurobindo et
Mère : nos corps ne s’arrêtent pas
à l’usage que nous en faisons, loin de là.
Ainsi un jour d’août 1960, dans une réponse
à sa grande amie Klari, qui vient de lui écrire
combien, une fois de plus, elle se sentait mal dans sa peau :
[…] Sans cesse vous entretenez
votre vérité intérieure par un subterfuge,
par un mécontentement mal placé, une
perspicacité mal placée. Je dis faux, parce
qu’on ne fait pas vivre sa vérité
intérieure sous le fouet ou le piquant d’une
mauvaise conscience – car cette mauvaise
conscience-là, c’est la toute petite conscience.
Bien sûr, « un rien me noie »,
dites-vous !! Bien sûr, vous avez l’impression
d’avoir « usé votre
substance ». Mais ce n’est pas cela, la
substance ! pas cela du tout. Ce que vous appelez votre
substance, c’est la peau des choses, c’est la
grimace extérieure. Il ne s’agit pas de vous
épier dans un miroir – tout le monde sait que les
miroirs n’ont pas de profondeur – mais de descendre
en vous-même.
Ce qu’on retient
généralement de l’œuvre de Satprem,
c’est d’abord sa réflexion sur
l’évolution. Nous ne sommes pas le bout de
l’autoroute cosmique. Le monde continue à
évoluer en nous. Il y aura, plus tard, plus loin, un
« après humain ». Deviner de quoi
sera fait cet « après » –
qui passe par la (fameuse, mystérieuse et vertigineuse)
descente de la conscience jusque dans la « jungle
des cellules » –, est aussi difficile,
sinon impossible, que pour le poisson de deviner le reptile, ou
pour le singe l’homme. Après, plus loin, plus
tard… Bref, on pourrait en conclure que
l’affaire ne nous concerne pas, mais regarde seulement nos
lointains descendants.
Pas tout à fait pourtant. Lisons
encore quelques lignes de cette lettre d’août
1960 :
Vous n’avez pas «
usé votre substance » – vous n’y
avez pas touché. Car je vous assure, dès
qu’on y touche vraiment, elle est inépuisable, elle
est infinie, elle est inaltérablement pleine et vivante
et chaude. Allons Klari !
Il y aurait en nous une source
d’énergie inépuisable, accessible, là,
maintenant, tout de suite ? Osons croire qu’il nous
est, à tous, possible d’entre-apercevoir, ne
fût-ce que très vaguement, de quoi Satprem veut
parler. […]
© Nouvelles Clés
[Accueil
site] [Accueil IRE] [Liste
publications]
|
|