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Lettre
à l'Occident
(Où Satprem soulignait l'importance
cruciale du travail
de Mère pour l'évolution humaine, terrestre.
Cette lettre a été écrite en 1978.)
À lOuest,
quoi de nouveau ?
Une civilisation, après tant dautres,
qui semble boucler son cycle sur une merveille dévorante, comme
Thèbes avant sur une merveille de connaissance occulte au milieu
des falaises ocres, comme la Grèce et Rome sur dautres merveilles
plus gracieuses mais non moins mortelles, comme lInde, avant, sur
des merveilles spirituelles croupissantes. Mais la Merveille, personne
ne la attrapée, parce que cest la seule chose dont
on ne meurt pas. Et peut-être, tous ces cycles vains, pour nous
faire attraper, au bout du compte et de tous les comptes usés,
cette seule chose dont on ne meurt pas. Mais quest-ce qui ne meurt
pas dans cette affaire cosmique même les petits oiseaux.
Chaque espèce meurt, ou sanéantit
dans une ronde stagnante cest la seule « loi »
sur laquelle tout le monde puisse être daccord. Nous ne sommes
même pas sûrs que les espèces stagnantes ne soient
pas des fossiles en attente.
Ou bien, une merveilleuse spirale qui nous projette
de planètes en planètes et dune galaxie à lautre
parce que même les galaxies meurent , toujours vers
une autre merveille, et dautres merveilles chaque fois dévorées.
Mais la merveille de quoi, finalement, puisquon fait toujours un
petit cadavre pénible à moins dun coup dil
cosmique qui nous récompense un jour de nos peines et nous fasse
voir ce petit cadavre en attente, ce petit fossile, cette poudre datomes
triomphants, comme un éternel Jeu de quelque conscience théâtrale
qui se paye le luxe dun million et un milliard de cadavres pour
son plaisir particulier. Alors, soudain, on ne peut sempêcher
dapplaudir notre matérialisme athée qui a parfaitement
craché à la figure des sagesses de lEst qui
sécroulent parfaitement, dailleurs, autant que notre
cycle matérialiste... et peut être pour les mêmes raisons.
Alors nulle merveille, dans aucune galaxie passée
ou à venir ? Un petit bonhomme qui peine et peine, de planète
en planète, avec quelques joies illusoires et triomphes fracassants
ou même quelques molécules prolongées pour avoir le
plaisir de regarder 200 ans de plus, ou quatre, sa petite histoire pas
brillante.
Non, il ny aura pas de merveille tant quil
y aura un corps des molécules qui meurent. Parce
que ce qui fait mourir un petit corps, cest ce qui fait mourir tout
un cycle ou toute une galaxie cest la même « loi ».
Il ne sagit pas de devenir immortel : il sagit de trouver
ce qui fait quon en meurt. Si nous avions ce secret-là
ou cette loi-là, nous changerions tous les univers, ou notre façon
dêtre dans ces univers, et ce serait peut-être enfin
la Merveille si nous voulons bien penser que cette fichue
affaire évolutive ait quelque but de joie et de plénitude
au lieu dêtre comme une perpétuelle affaire manquée.
Cest ici quà lOuest,
il pourrait y avoir quelque chose de nouveau parce que, précisément,
nous sommes des matérialistes et nous cherchons un triomphe de
la Matière et non dun petit esprit dans les nuages. Nous
aimons les lois, les mécanismes, les leviers : triturer cette Matière
et en extirper les secrets. Trouver la loi de la mort, ce qui fait
la mort. Non, pas la « guérir » : le mécanisme,
pourquoi ça meurt ?
Guérir, nous navons rien guéri
: nous inventons des artifices, cest-à-dire des monstres,
que nous plaquons sur le « quelque chose » qui fait
la mort. Ça marche pendant un temps. Puis il faut inventer des
monstres de plus en plus monstrueux car le monstre ne peut durer
quen devenant de plus en plus monstrueux : cest sa loi, comme
celle des mégathériums au tertiaire, jusquà
ce quil se détruise lui-même, comme ces autres monstres,
cest-à-dire ces autres artifices, avec leurs cures yoguiques
ou occultes en Inde et à Thèbes. Nous avons jusquici
manié des artifices, dun cycle à lautre, avec
un minois spirituel ou moins spirituel. Les singes aussi, les cacatoès
aussi, quand ils grignotent une liane ou une pistache, se servent dun
artifice : un bec, des dents. Notre artifice spécial, après
la pince du crabe, en ce cycle humain, cest le cerveau. Cest
notre pince spéciale pour manier la Matière. Cest
notre artifice, notre monstre choisi. Et la Merveille court toujours.
Allons-nous mourir sans trouver le Secret, notre
secret évolutif ? Une Thèbes de ferrailles. Et sil
ny a pas de secret, sil ny a pas de but évolutif,
alors nous avons raison de mourir et le plus tôt possible ou le
moins mal possible. Mais sil y avait un Secret ?
Quest-ce que pourrait être lautre
instrument qui manierait la Matière sans intermédiaire
: sans pince ni bec ni microscope électronique ? Nous avons parcouru
beaucoup de cycles, mais nous avons seulement amélioré la
loi du crabe nos crabes électroniques ne sont pas plus avancés
que les crabes tout court : ils servent seulement dautres fins provisoires
et tout aussi mortelles. Une matière sans artifice, ce serait une
Matière capable de se transformer elle-même, sans dents,
ni bras ni concasseurs ni même petit cerveau. Il se pourrait que
le cerveau qui nous honore soit le dernier vestige ou résidu du
premier propulseur des flagellés: une manière de se débrouiller
« mieux ». Il se pourrait que tous ces instruments
successifs de mieux en mieux ou de mal en pis, comme on veut
soient faits évolutivement pour nous conduire au point du sans
instrument : de la Matière directe, si lon peut dire, qui
se transforme elle-même par son propre pouvoir au lieu de saisir
des matériaux « extérieurs » pour
se mélanger et sadditionner ou se soustraire et se diviser,
ou se nourrir et mourir finalement. Il se pourrait que linstrument
soit lécran dautre chose : la pince devient de plus
en plus grosse, comme le saurien, comme le Boeing 707, et finalement,
la béquille supplante lhomme. Son artifice particulier devient
sa mort particulière. La mort, peut-être, parce quil
sappuie sur autre chose que lui-même, parce quil mange
autre chose que lui-même, tue autre chose que lui-même, « pense »
à autre chose tout est « autre chose »
manipulé par des moyens extérieurs. Tout est un artifice
pour remplacer le seul « quelque chose » qui aurait
un pouvoir ou une existence directe. Cest cela, le point de mort.
Cest là ou lévolution pourrait subitement se
partager nous rêvons, mais oui, rêvons donc
comme les murs de Jericho ou de Chine ou comme avant et après les
grands plissements, entre la somme des vieux cycles instrumentaux (la
vieille évolution) du flagellé au crabe et à lhomme,
et une évolution nouvelle sans instruments, sans artifice
sans mort. Parce que, ce qui faisait la mort, cétait, peut-être,
de navoir pas trouvé le pouvoir direct de la Matière,
la réalité de la Matière : ce quelle
est, et donc ce quelle peut.
Se pourrait-il que nous soyons au point évolutif
où la Matière, de plus en plus éveillée, développée
par ses propres instruments, comme un enfant éveillé, développé,
par ses propres deux pattes + une certaine somme de dictionnaires pour
lui apprendre tout ce qui est « en dehors » de lui,
découvre enfin son propre pouvoir moteur et sache instantanément,
se nourrisse instantanément, se meuve instantanément, se
transforme instantanément ? Où est la mort de ce qui se
transforme à chaque instant ? La mort, cest ce qui se fossilise
dans une pince, un radicule ou un cerveau cest la stratégie
évolutive pour passer dune espèce à lautre
et transformer constamment cette Matière première, ce premier
« quelque chose » qui est notre secret final.
Devant la « loi » de la
mort, et son égale, il y a la seule loi de la transformation de
la Matière. Et toutes nos pinces de crabes ou super-pinces électroniques
sont une aberration ou un détour évolutif, une petite circonvolution
évolutive, pour nous conduire au secret central, matériel,
où nous passerons dune évolution de la mort à
une évolution de la joie rêvons-le, en tout cas, ça
ne dérange pas.
Mais nous qui ne sommes pas des rêveurs,
qui sommes des manipulateurs par excellence, nous pourrions peut-être
tenter cette merveille-là, si seulement nous connaissions le processus.
Nest-ce pas, faire une évolution nouvelle, après Darwin
: un cycle post-darwinique qui remettrait tout en question et donnerait
peut-être un sens à tous ces cycles de misère instrumentale.
Un processus si nous ne croyons pas spécialement
aux galipettes spirituelles des ascètes de la conscience cosmique
en faillite à lEst, pas plus quaux galipettes des ascètes
de laboratoire en faillite à lOuest cest quelque
chose qui doit pouvoir se saisir directement dans notre propre corps (puisque
cest là quest le lieu de lévolution).
Cest donc une entreprise à la portée de nimporte
quel idiot, puisque notre pince cérébrale nest pas
plus le lieu des transformations évolutives que ne létait
le bec du cacatoès encore que chaque petite griffe ait contribué
au passage. Cest donc, encore, une entreprise qui demande à
regarder son corps, à vivre son corps, dune manière
un peu directe sans coller instantanément dessus ce que nous en
pensons, ce que nous en connaissons, ce que toutes nos lois et
légistes du flagellé au crabe et à lhomme,
ont successivement décrété, répertorié
et équationné. Cest donc une première manière
de se déshabituer de lhomme pour être le « quelque
chose » qui sest successivement revêtu de poils
urticants, de carapace ou de peau blanche justement le quelque
chose. Un quelque chose qui vit à chaque instant, bat à
chaque instant, sur ce boulevard en complet veston autant que dans cette
petite vasque jolie avec les anémones. Ce nest pas à
mettre en éprouvette : cest à éprouver soi-même
pour une fois dans toute cette fichue histoire, séprouver
tel quon est.
Une grande question.
Plus difficile que les éprouvettes du pharmacien.
Et pourtant cest là, sous la main
ou sous la peau.
Tout le secret évolutif.
Se pourrait-il, alors, que nous découvrions
que toutes nos « lois » sont les lois de notre tête,
autant quelles pouvaient être les lois de nos pinces et de
nos petits yeux ronds dans une jolie vasque diaprée pas
plus sûres, pas plus « scientifiques » : une
habitude humaine de jauger le monde et de peser dune certaine manière
contre nos parois... mentales.
Cette fantastique expérience, si simple,
à portée de main, cest peut-être bien notre
dernier défi, à nous, gens de lOuest dotés
délectronique en faillite mais toujours amoureux de la Matière.
Le dernier champ dexpérience, cest nous-mêmes,
mais pas dans les étendues supracosmiques en faillite également
: dans une petite cellule... pure. Exacte. Telle quelle est.
Et si nous découvrions, derrière
nos parois mentales, comme derrière nos anciennes membranes dun
genre ou dun autre, un monde dune autre loi, une évolution
dune autre loi, une vie dune autre loi une mort qui
était seulement une fausse manière de voir et de peser contre
des parois inexistantes, provisoirement utiles... jusquau jour où
on arrive au sans paroi, dans le corps. La mort, cétait la
fausse paroi qui nous emprisonnait dans une manière dêtre
au monde alors que, visiblement, lévolution veut être
toutes sortes de manières dêtre, cest-à
-dire toutes sortes de manières dauto-transformation.
Cest dans le corps quon franchit la
paroi.
Cest le lieu du dernier secret.
Le commencement dune évolution nouvelle.
Cest le secret de Mère : la Mutation
de la Mort qui finalement est la découverte de la Matière
telle quelle est, sans parois ni membranes ni petit cerveau ou pinces
jolies : le lieu du corps où la Matière, déshabituée
dêtre particulièrement un homme ou une chauve-souris,
se découvre un pouvoir vivant dauto-transformation constante.
Allons-nous rester pris au piège dun
petit cerveau et de quelques gadgets électroniques, et mourir de
notre monstre choisi, ou trouver enfin le secret des âges ?
LEst et lOuest sont en train de mourir.
Il ny a pas à additionner ces excellentes quantités
pour faire quelque cocktail du Véda + Einstein, pas plus
quun archéoptéryx soudain nest une addition
de deux reptiles, mais quelque chose dautre, une autre quantité,
ou la mutation dune même, éternelle quantité,
que nous ne connaissons pas encore, qui nest pas une addition de
nos vertus, mais une soudaine mutation dans une vieille habitude dêtre:
un point de rupture de la paroi.
Tel est le défi à lEst comme
à lOuest.
Le défi de la Terre.
Allons-nous chercher dans le vrai sens,
ou nous laisser, encore une fois, leurrer par des paradis cosmiques ou
scientifiques ou marxistes, tandis que la Merveille continuera toujours
plus loin. Et si nous étions vraiment matérialistes
peut-être ne le sommes-nous pas assez ?
Si nous allions à la découverte
de notre matière, là, déambulante sur le boulevard
et immédiate ?
Si nous faisions de lévolution expérimentale,
sur le tas ?
Cest peut-être bien notre dernière
aventure.
Tirer de nous le prochain oiseau, qui naura
peut-être pas besoin dailes pour connaître son monde
partout parce quil naura plus de parois et plus lhabitude
dêtre spécialement mortel et prisonnier dun plumage.
Le point de rupture de la prochaine espèce,
tel est le problème, à lEst comme à lOuest.
Le secret dune petite cellule, pure, qui traîne de peau en
peau à travers un million de misères.
Ou alors la bombe encore une fois pour briser
du dehors ce que nous naurons pas eu le courage de briser du dedans.
Est-ce quun têtard marxiste fait une
grande différence avec un têtard de droite ? Allons-nous
sauter par-dessus le bocal et voir la merveille du grand monde. Changer
le programme, oui, génétique.
À lOuest, rien de nouveau.
À lEst, rien de nouveau.
Ni à droite ni à gauche.
Mais dans une seule petite cellule, pure, un formidable
Nouveau.
Satprem

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